Auteur : Dam - Date : 22 Juillet 2004
MGS OU LA RELATION JOUEUR / JEU VIDEO

Avertissement : si vous n’avez pas encore joué à Metal Gear Solid 2, je vous déconseille fortement de lire ce qui suit, et pour cause : spoiler inside. Au contraire si vous y avez déjà joué ou bien que vous n’ayez aucunement l’intention de vous y essayer, no problemo.

Hideo Kojima a une certaine tendance à truffer ces jeux de clin d’œil, de références, de « messages » divers et variés, et bien entendu MGS 2 ne déroge pas à cette règle. Plus ou moins bien compris, MGS 2 a suscité de nombreuses réactions allant de l’adoration ultime en passant par un bon gros bof bof. Et pourtant, ce jeu se révèle vraiment intéressant pour peu qu’on s’y intéresse, en effet sa complexité lui permet d’être appréhendé selon plusieurs niveaux de lecture, ce qui est rare pour un jeu vidéo. L’un d’entre eux est particulièrement intéressant dans la mise en lumière de l’interaction entre le joueur et le jeu.

 
Kojima : fou ou génie ?

I - Jeu(ne) et joueur(se)

Kojima avait déjà utilisé quelques artifices dans MGS sur PSone pour montrer une interactivité marquée entre le jeu et le joueur, et ce, notamment lors de l’affrontement avec Psycho Mantis (il fallait par exemple changer de port pour que Mantis ne puisse lire dans votre esprit et anticiper vos mouvements). Le deuxième opus regorge de beaucoup plus d’éléments, mais plus implicites.

Tout d’abord, le personnage incarné, s’il en a déçu plus d’un n’est en fait qu’un moyen pour mieux faire passer le message de Kojima. Snake étant devenu une icône, le manque de charisme de Raiden était donc l’idéal pour que le joueur s’attache moins au personnage, et donc pour qu’il puisse s’identifier à lui plus facilement.

En plus de cela, au début de la deuxième partie du jeu (Plant), on vous demande d’inscrire des données personnelles comme votre nom, nationalité, rhésus sanguin, sexe etc…Bien qu’anodins, ces éléments sont étranges dans un jeu comme MGS connu pour sa mise en scène et le charisme des personnages.


Snake l’icône, Raiden la buse

Kojima aurait donc sciemment cassé la teneur en charisme de son nouvel « héros », afin de s’y identifier plus facilement, mais pour quelle finalité ?

Selon moi, c’est pour faire passer le message suivant : nous sommes « manipulés ». Oui, l’interaction jeu/joueur ne peut passer, aujourd’hui, que par une sorte d’asservissement du joueur au jeu.
Kojima le montre avec finesse en instaurant le couple joueur/Raiden, ce dernier étant facile à s’identifier par son manque de charisme évident (cf. ci-dessus).

Déjà au départ, Raiden est un bleu, il n’a jamais eu l’occasion de se frotter au feu ennemi (en tout cas c’est ce que l’on croit au début), il ne s’est entraîné qu’à travers les fameuses missions VR. Tout comme vous finalement, vous n’avez « l’expérience » de la guerre que via le virtuel des jeux vidéo.
Ensuite, dans l’histoire, Raiden se rend compte au final, qu’il fait parti d’un vaste programme : le S3 (Solid Snake’s Simulation), dont le but n’est ni plus ni moins de créer un programme virtuel capable de produire rapidement une armée de soldats ultimes. Il se rend compte que depuis le début il est manipulé par son commandement, car assigné à des objectifs sur lesquels il n’a aucun choix. D’ailleurs Snake lui fait remarquer à diverses occasions. En clair il ne connaît ni les tenants et aboutissants de l’histoire.

Ca ne vous rappelle pas quelqu’un ? Le joueur bien sûr. Le pauvre est finalement manipulé par le jeu, auquel il n’a finalement pas prise malgré ce qu’il peut penser…tout comme Raiden en fait.

Ainsi, la simulation est à Raiden, ce que le jeu est au joueur. Après le couple joueur/Raiden, se révèle donc un nouveau parallélisme qui découle du premier : la paire jeu/simulation. D’un côté nous avons la simulation qu’effectue Raiden afin de créer un programme virtuel d’entraînement, et de l’autre le jeu auquel vous vous essayez, qui peut être considéré comme une simulation virtuelle également.

Mais rassurez vous, ce n’est qu’un jeu…

 

II - Ce n’est qu’un jeu

Une fois cette interrelation mise en place, Kojima s’amuse ensuite avec nous, et ce, de façon plus que surprenante.

Vers la fin du jeu, le Colonel commence à devenir fou et lorsqu’il vous appelle sur votre Codec c’est pour tenir des propos plus qu’étrange à Raiden genre : « éteins ta console, tu y joues depuis trop longtemps ». En fait c’est avec vous qu’il s’entretient, dérangeant.

Encore meilleur, lors d’une escarmouche avec des soldats toujours vers la fin de MGS 2, à l’écran s’affiche un Game Over sans que vous ne compreniez pourquoi. Comme tout bon joueur docile, mon réflexe conditionné a été d’arrêter de tirer jusqu’au moment où j’ai compris que le jeu continuait dans une petite fenêtre ! Tout ça pour mettre en exergue le rapport du joueur au jeu comme dit plus haut. Tout simplement génial ! Je pourrai continuer tant les exemples comme ceux-ci sont nombreux, peut être pour rendre l’atmosphère moins réaliste…

En effet, toute cette mise en scène, que certains ont trouvé grotesque, a pourtant un sens : il ne s’agit que d’un jeu. Ce deuxième message est d’autant plus intéressant dans un contexte où l’on voit fleurir de quasi véritables simulations de combat : la série des Rainbow 6, les FPS (america’s army notamment), et dernièrement Full Spectrum Warrior, jeu vidéo tiré d’une simulation de l’US army.

Enfin, tout cela s’arrête logiquement à la fin du jeu : Raiden prend son Dog Tag (la petite plaque du GI où sont inscrits son nom, grade, rhésus etc…), et oh surprise, les données que vous avez inscrites au début du jeu (cf. plus haut) sont dessus, la boucle est bouclée. La relation  joueur/ Raiden s’arrête lorsque ce dernier jette l’objet au loin (comme dans Top Gun avec le torse huilé en moins).

Au final, MGS 2 est une véritable pépite pour qui sait s’en rendre compte. Pour ceux qui n’ont pas compris ou qui n’accrochent pas à cette façon de jouer, MGS 2 ne restera sans doute qu’un jeu décevant vis-à-vis du premier opus, dommage !

 

 

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